Un parcours
Je n’ai jamais vu le monde tel qu’il est, mais tel qu’il pourrait être. Les choses me semblent toujours en devenir. C’est le désir de le comprendre et de pouvoir le réinventer qui m’anime dans chacun de mes projets.
Au départ, j’ai fait des études d’ingénieur, car je voulais décrypter les fonctionnements pour pouvoir à mon tour créer et fabriquer. Après une phase de voyages, de contemplation des différentes façons de vivre et ressentir le monde, après des expériences variées à travers divers métiers, j’ai ressenti le besoin de m’inscrire dans un territoire, un lieu où je puisse matérialiser mes visions et donner forme au désir que j’avais accumulé d’agir.
J’ai commencé mes recherches artistiques par les fontaines, des objets urbains qui se retrouvaient au carrefour de mes préoccupations : la sculpture, la mise en scène de l’eau, le design architectural, la dynamique des déplacements dans les espaces publics, et le déploiement d’un urbanisme qui soit compatible avec les défis environnementaux du XXI siècle.
La pratique de la sculpture, de la scénographie évènementielle ou pérenne, en espace urbain et paysager, m’ont amené à exprimer des idées à travers des installations dont le fonctionnement ou le sens n’est pas immédiatement perceptible. L’enjeu est d’interpeler émotionnellement les passants, de les impliquer par leur sens, leur curiosité, de les mettre en action et en éveil face à l’énigmatique, à l’inattendu.
Un art en mouvement
Traqueur de mouvement, j’invente des dispositifs impliquant des éléments naturellement instables (l’eau, le vent), j’agence et transforme la matière pour générer des formes en action, afin de rendre visible la course du monde. C’est le déploiement de la vie qui m’anime.
Avec les sculptures mues par le vent, je cherche à captiver par la chorégraphie des formes dans l’espace, le mystère et l’imprévisibilité des mouvements. À l’échelle du paysage, je tente de m’inscrire dans la dynamique de la nature, sa variabilité, le renouveau du spectacle quotidien. Cela se matérialise par la motion même des mobiles ou par des positionnements aléatoires et des compositions de couleurs qui dépendent de l’énergie transmise par l’atmosphère ; la trace d’un monde en vibration.
Avec l’eau, je cherche à convoquer la vitalité de chacun, à rendre visible dans l’espace public, la joie intérieure de chacun d’être là, dans l’ici et maintenant, de sentir la vie nous traverser. C’est une invitation au jeu et à la contemplation du monde dans sa pulsation et sa transformation perpétuelle. À une échelle paysagère, j’essaie d’utiliser l’eau pour tout ce qu’elle évoque de notre connexion avec la planète, de ce que nous lui devons, son abondance festive et sa fragilité.
Le vent
Avec les éoliennes et les mobiles, je recherche une forme de beauté, d’épure, d’harmonie des déplacements. Je veux que les formes dansent comme un corps. Je voudrais convoiter un envoûtement par le mouvement, sa fluidité, sa grâce ou son imprévisibilité. J’aime ce qui est inattendu, ce qui nous échappe.
Mon ambition est de surprendre ceux qui regardent par une proposition qui les embarque, les émerveille ou qui les questionne. Ce qui m’intéresse c’est de proposer une rupture dans la normalité. Provoquer un arrêt dans le cheminement des passants parce que le dispositif exposé ne se comporte pas de façon prévisible. J’aime bien l’idée de dévier le cheminement des passants en interpellant le corps, les sens, le désir d’habiter cet espace et de comprendre. Je cherche ce moment de poésie qui nous relit à l’immatériel.
Dans certaines installations, je vise un renouvellement perpétuel du paysage. La position ou la couleur d’un objet change quand il y a du vent ou du soleil. Dans certains systèmes le vent créer un déplacement des objets, mais ceux-ci se figent dans une des deux positions possibles d’immobilité quand le vent faibli. Ceci permet de créer des combinaisons de formes et de couleurs qui évoluent de jour en jour.
L’eau
Quand je travaille avec l’eau, c’est dans le désir que les gens renouent avec leurs corps d’enfant, celui qui communie avec les éléments, avec la nature, je voudrais qu’ils recontactent la dimension tactile du monde.
Quand des promeneurs interagissent avec un dispositif et exposent leur sensualité. Quand des citadins s’immergent dans un nuage de brumisation, quand les mains viennent au contact de l’eau, que le jeu s’invite, Il y a une forme de joie spontanée et gratuite qui apparaît dans l’espace publique. Cette joie est offerte à tous, elle réconcilie avec la ville donne à voir ce qui nous relie.
L’eau donc comme un élément qui convoque la vie, mais aussi quand c’est possible comme un messager. Je suis constamment habité par la question du sens, de ce que je fais, de ce que je donne à voir ou à vivre. L’eau peut être un langage chargé de sens, nous interpeller, suggérer une idée.
C’est ce que je fais avec des sculptures d’eau comme avec le projet « en attendant 2050* » , on peut accéder à cette installation par la sensualité de l’eau ou par le questionnement qu’elle suscite. La porte d’entrée est sensuelle, elle peut être mentale. « L’invisibilité des liens **» est aussi un projet qui est motivé par la recherche signifiant/signifié, il évoque de ce qui nous connecte et cherche à créer la situation qui le fait.
Pour autant ce que je fais ne doit pas se justifier par le discours, qui serait sinon pour moi un aveu d’échec. Comme le disait Jean Baudriard : si ça peut être fait ce n’est pas la peine de le dire et si ça peut être dit ce n’est pas la peine de le faire.
* une sphère de 4mde diamètre constituée de cocottes minutes dont les soupapes ont été remplacée par des buses de brumisation
** une table d’eau faite d’empreintes de mains d’où sorte des jets qui sont interconnecté par des réseaux invisibles.
L’espace public
Dans tout espace public, il y a des secteurs qui appellent l’apaisement, d’autres qui convoquent la vie. J’ai ce besoin de voir les lieux dans leur dynamique, de me projeter, de les transformer. Révéler le potentiel d’un lieu c’est pour moi ouvrir des possibles, tenter de faciliter l’accès de chacun à sa forme positive d’être. La sensualité qui s’exprime quand une personne entre dans un nuage de brume, la vitalité qui jaillit d’un enfant courant sur un plan d’eau, le bien-être qui s’inscrit sur un visage apaisé ou contemplatif, toute cette beauté constitue un bien commun, qui transforme la situation et fait la réussite d’un aménagement.
Une préoccupation environnementale
Je suis habité par la conscience de la finitude du monde, de l’épuisement des ressources. C’est un paradoxe pour quelqu’un qui travaille la matière. En privilégiant le travail dans les espaces publics, en proposant des créations en accès libre et gratuit au service de tout le monde, j’ai moins le sentiment d’abuser du stock de matière.
L’évolution des sociétés a poussé la majorité de la population à s’installer dans les villes. La cité est une forme moins consommatrice d’énergie que le mode de vie pavillonnaire qui se déploie dans l’espace. Les villes sont cependant des lieux de concentration des ressources prélevées dans la biosphère. Il en résulte pour ceux qui y vivent en conscience le sentiment diffus de contribuer à une perte. À quoi bon dans ce contexte ajouter de l’entropie à l’entropie ? Il n’y a pas de solution à ce positionnement, si ce n’est une certaine sobriété dans les projets, ajoutés à une rationalisation des moyens de satisfaire un objectif d’un point de vue environnemental. Refuser la beauté sous toutes ses formes, le déploiement de l’art dans la ville reviendrait à refuser la ville. Pourquoi pas, mais pour créer quelle société ? Au nom d’un certain utilitarisme, on ferait vivre les habitants dans un environnement toxique et désastreux pour l’âme humaine. L’art dans la ville ne consomme qu’une fraction minime de l’énergie et la matière nécessaire à son fonctionnement. C’est une part irréductible d’entropie qui est nécessaire au plein épanouissement des sociétés humaines.
Une technicité
Dans la création, c’est l’émerveillement du gamin que j’active. Les défis techniques me stimulent m’intriguent, m’obsèdent parfois. Je cherche une solution au problème. J’ai un objectif, une envie, je sais où je veux arriver, mais il n’y a pas encore de chemin. J’aime bien convoquer cet « instinct mécanique », cette capacité spectaculaire qu’ont les êtres humains à naviguer dans abstraction : il va falloir que je transforme la matière, la mette au service d’une vision, que j’invente une forme, un dispositif pour atteindre mon but. La nature semble procéder par tâtonnement, les humains eux, inventent parce qu’ils conceptualisent et brulent les étapes.
Dans ces moments-là, j’agence les éléments avec mes mains ou mon esprit toujours accompagné par cette préoccupation d’épure. Plus c’est simple et plus c’est séduisant pour moi. L’élégance du geste, la simplicité de la solution mise en œuvre, une forme de sobriété. Du minimalisme des moyens mis en œuvre pour atteindre l’objectif découle la beauté, car en deçà, on ne pourrait plus assurer la fonction recherchée.
J’ai souvent à l’esprit cette phrase d’Alvar Aalto : en architecture, tout ce qui n’a pas de fonction finit par s’enlaidir avec le temps.
L’art
Est-ce que ce que je fais est de l’art ? Est-ce qu’il m’appartient de me positionner sur cette question ?
Ma quête est de mettre la matière, les formes, les espaces et les gens en mouvement. Faire émerger d’un lieu une poésie visuelle. Toucher les passants par la danse des formes, l’impermanence du paysage. Faire ressentir la beauté et la fragilité du monde.